mercredi 3 février 2016

Le Yukon : une terre de rêves et de spéculation,colonisée par la foi des hommes en l'or invisible

Départ d'un bateau de San Francisco vers l'Alaska.
Fin du XIXème siècle, un bateau portant les stigmates d’un lointain voyage vers le grand nord s’amarre dans le port animé de San Francisco. À son bord, une énigmatique cargaison qui rapidement anime toutes les conversations. Les marins, trop bavards après quelques bourbons, cessent de parler du vent et passent à table : un important filon d’or aurait été trouvé au cœur d’une lointaine terre sauvage nommée Yukon. Aucune route n’y mène. Ce territoire du nord-ouest canadien se trouve au-delà de l’Alaska pourtant connue comme la « dernière frontière ». Il est habité par quelques tribus amérindiennes et, ponctuellement, par de sordides trappeurs attirés par l’effervescente vie sauvage. Il n’y a rien au Yukon si ce n’est une nature intacte et préservée. Des chaînes de montagnes aux pics sans-noms succèdent aux forêts subarctiques à la croissance sans cesse retardée par de trop longs hivers. Des rivières indomptées, dont seuls les élans et grizzli ont entendu parlé, se tracent un chemin dans un lit de roches et de taïga. Une terre oubliée de la civilisation qui va bientôt connaître le meilleur et le pire de la nature humaine.

Départ de Seattle vers l'Alaska.
Sur simple base d’une rumeur, des centaines, non des milliers de rêveurs saluent sans se retourner leur paisible existence de citadin. Ils embarquent pour l’un des nombreux bateaux quittant la baie d’Oackland, ou encore la toute jeune Seattle, à destination de Skagway. Cette ville portuaire du sud-est de l’Alaska se développe aussi rapidement que les idées de luxure dans la tête des apprentis chercheur d’or. Elle attire rapidement d’avides commerçants et de généreux escrocs. Elle devient le point de départ d’une éprouvante épopée pour laquelle il faut s’équiper à tout prix ...et quel prix ! Le coût du voyage, matériel et vivres compris, coûterait au XXIème siècle non moins de 25 000 euros.  

Skagway et ses jetées.
Le port de Skagway
Skagway.
Skagway.
Skagway.
Les voyageurs quittent Skagway le cœur léger mais le dos lourd. Une importante marche en montagne les attendent pour rejoindre le col du Chilkoot. Les monts dantesques de la côte nord-ouest de l’Amérique n’ont jamais été aussi fréquentés. Les aventuriers sont à la moitié de leur voyage. Les risques d’avalanches sont réels. Ils avancent en file indienne le long des pentes abruptes alors déjà recouvertes par la neige. Parmi eux, Jack London, futur célèbre écrivain, nourrit progressivement sa plume de la démence des hommes aveuglés par l’or invisible. 

Les aventuriers, chargés pour une année, grimpe en file indienne jusqu'au col du Chilkoot.
La montée du col du Chilkoot est une épreuve ! La pente y est raide et les avalanches sont nombreuses.
La file de voyageurs sur une pente du col du Chilkoot.
Au sommet du Chilkoot, des officiers de la police montée canadienne vérifient que chacun dispose de vivres suffisantes pour une année. Il est en effet impossible de faire la route dans l’autre sens durant les 9 mois d’hiver. Les compagnons de voyage, regroupés par nouvelle amitié, descendant rapidement jusqu’au Lac Bennett, au Canada, pour s’adonner à la construction d’une barque qui les emmènera jusqu’au bout du voyage. Quelques artisants menuisiers campent au lac pour la saison. Ils ont fait de leur fond de commerce l’impatience de certains arrivistes, pressés de spéculer sur le meilleur terrain à creuser. La ruée vers l’or est une véritable course contre le monde.

La construction du bateau, sur les rives du lac Bennett.
A bord de leur embarcation de fortune, les futurs chercheurs d’or remontent le lac Bennett jusqu’au fleuve Yukon. Beaucoup trop d’hommes n’iront pas plus loin, perdant la vie dans les eaux tumultueuses du Miles Canyon. Les heureux survivants suivent nonchalament le cours de la rivière durant plusieurs semaines. Ils traversent des contrées beaucoup trop belles pour leur cœur avide de richesse. L’heure n’est malheureusement pas à la contemplation. Ils dorment les yeux ouverts, les nuits multicolores du magnétique grand nord, pendant que d’autres, au bout du chemin, creusent la terre et perdent du poids qu’ils espèrent regagner en or.

Les rapides du Miles Canyon.
Dawson city, simple étape des explorateurs, est le terminus des hommes venus chercher la fortune bien trop loin de chez eux. Elle est située au croisement du fleuve Yukon et de la rivière Klondike sur les rives de laquelle la richesse est à rechercher. Autrefois simple village où trappeurs et autochtones commerçaient, Dawson s’est réellement construite en quelques semaines autour d’hommes qui ont perdu leurs scrupules mais pas leur foi. Elle compte alors 40 000 habitants et est la plus grande agglomération au nord de San Francisco et à l’ouest de Winnipeg. Notons, qu’au XXIème siècle, le territoire du Yukon tout entier n’habrite que 33 000 pensionnaires dont 1300 à Dawson City.

Campement de mineurs le long de la rivière, à côté de Dawson City.
Dawson City.
Dawson City.
Les voyageurs, à peine arrivés, s’empressent de miser sur l’achat d’une concession . Le jour, ils se dépensent, pelle à la main, sur leur terrain. Le soir, ils dépensent, verre à la main, au saloon du coin. Seule une poignée de chanceux feront réellement fortune. Les autres ne trouveront au Yukon qu’un trou dans leur poche. Ils prendront le chemin du retour plus pauvres qu’à leur arrivée mais aussi plus riches d’aventure, laissant derrière eux des compagnons de fortune emportés par la maladie et l’absence d’une réelle loi. La trépidante agitation, là-haut dans le grand nord, n’aura pas duré 4 ans.

Des chercheurs d'or ...Que sont devenus ces hommes et ces femmes ? Ont-ils survécus ?
À Dawson City, la spéculation sur les concessions est un moyen efficace de faire fortune.
Dawson City et les chiens aidant à tirer le matériel des mineurs.
À la fin de la ruée vers l’or, la population de Dawson city redescend à quelques milliers d’habitants. La ville de toutes les spéculations restera à jamais habitée par le souvenir des dizaines de millier de bottes pleines de fanges qui l’ont foulée. L’histoire du continent américain, c’est l’histoire d’hommes qui n’ont cessé de repousser les frontières. La ruée vers l’or du Yukon est une histoire d’aventure et d’appât du gain mais aussi de colonisation d’un territoire jugé comme toujours trop hostile. Elle fait aujourd’hui partie d’un folklore riche de personnages haut en couleur. Le riche, venu plein les poches augmenter son capitale, qui rentra quelques mois plus tard au pays, léger comme une plume, séjournant dans la même cabine que le vagabond qui lui avait lavé ses bottes. La pauvre, arrivé sans un sous qui repartit tout aussi démuni mais riche du souvenirs de ces nuits où il a dépensé sans compter les pépites qu’il venait tout juste de trouver.

Un des derniers bateaux à vapeur ramenant les chercheurs d'or à la toute fin de la ruée vers l'or.
Au printemps 2016, nous suivrons les pas de ceux qui avaient autrefois un rêve. Nous remonterons en bateau la côte pacifique, longeant les îles, les montagnes et les glaciers, à travers la Canada et l’Alaska. Au port de Skagway, nous marcherons sur des trottoirs de bois, le long des maisons d’époque et rendrons hommage à ces hommes qui, 120 ans plus tôt, cherchaient des vivres et un équipement à bon prix. Nous prendrons ensuite la route du col de montagne sur lequel des milliers de voyageurs trainaient péniblement leurs bagages en fil indienne.

Mais tout d’abord, en ce début février, nous allons rejoindre le Yukon et nous frotter à sa vie sauvage en plein hiver. Nous n’allons pas chercher d’or mais des morceaux d’histoires et de paysages. Les habitants de Vancouver, apprenant notre voyage, n’ont cependant d’autres mots pour nous qu’un « Good Luck ! ». Simple marque de courtoisie ou traditionnelle salutation adressée à ceux qui, les yeux brillants, rejoignent le froid du Yukon, en quête de merveilles.


Simon

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